Solidarité avec les artistes indépendants
Le vendredi 13 mars, le gouvernement belge a annoncé un certain nombre de mesures très strictes pour freiner la propagation du Coronavirus. Le mercredi 18 mars ces mesures ont été ultérieurement renforcées. Une partie importante de la vie sociale a ainsi été brutalement perturbée. Comme les maisons de retraite, les écoles, les universités, les magasins et les cafés… tous les espaces culturels ont également été invités à fermer leurs portes: musées, salles de concert, clubs, cinémas, centres culturels, foires et festivals… Ce sont des centaines de répétitions, enregistrements, tournages et résidences qui ont été annulés et les processus de production avortés.
Ce soir-là, State of the Arts, la plateforme des arts et des artistes indépendants, a ouvert une hotline pour tous les travailleurs culturels qui ont dû interrompre leurs activités du jour au lendemain.
Les histoires qui nous ont été confiées, depuis lors, sont poignantes. Cette crise n’aurait pas pu arriver à un pire moment pour la culture. Après les récentes coupes budgétaires du Gouvernement Flamand, beaucoup d’espoirs reposaient sur le printemps. Mars et avril sont des périodes parmi les plus riches de l’année. Il n’est pas rare que les artistes gagnent une part importante de leurs revenus annuels au cours de cette période.
L’arrêt des productions artistiques aura de lourdes conséquences pour les travailleurs du secteur, et ce à long terme. Les quelques 450 témoignages enregistrés jusqu’à présent montrent très clairement que les artistes (mais aussi d’autres acteurs précarisés du secteur culturel : techniciens, dramaturges, administrateurs, graphistes, photographes…) doivent désormais s’en sortir avec des revenus dramatiquement réduits. Les étudiants et les bénévoles auront également d’énormes de difficultés pour joindre les deux bouts. Pour plus de détails, nous vous renvoyons à l’article de Wouter Hillaert.
Pris dans un réseau professionnel interdépendant et fragilisé, les free-lance tentent de garder la tête hors de l’eau en jonglant avec des engagements très différents: des contrats plus longs alternent avec des contrats courts et, avec un peu de chance, ils sont complétés par quelques heures d’enseignement ou de service dans l’Horeca… Tout cela s’inscrit dans un emploi du temps extrêmement serré : servir des bières dans un bar l’après-midi avant de chanter un aria le soir. (Et, depuis le lockdown, même cela n’est plus possible.) Malheureusement les circuits «informels» tels le Kleine Vergoedings regelingen (KVR) ou la “règle du cachet” sont encore trop souvent utilisés par les artistes. Ceux et celles qui ne disposent pas du statut officiel d’artiste, qui ne peuvent pas compter sur un partenaire aux revenus solides ou une entreprise disposant des réserves nécessaires seront bientôt confrontés à des gouffres infranchissables. De nombreux ménages, dont les deux partenaires travaillent dans le secteur, sont doublement touchés. Les années de disette dans le secteur se font soudain douloureusement sentir.
Les témoignages rassemblés montrent déjà des pertes qui grimpent jusqu’à 2 millions d’euros environ. Et ce n’est que la pointe de l’iceberg. Perte des revenus, mais aussi des investissements : visas, billets de train et d’avion, frais d’hôtel… tous les coûts de production avancés sont définitivement perdus… Ces frais devront être payés à nouveau, si les productions reprennent un jour. Actuellement les pertes ont creusé d’irréparables trous dans des budgets déjà réduits. De toute façon, “attendre que ça passe” et espérer en de meilleurs lendemains, ne sont pas des options. Pas à court terme ! Nous devrons malheureusement dire adieu à de nombreuses productions…
La forte interdépendance économique entre les secteurs de la culture, du tourisme et de l’hôtellerie est démontrée. Nous demandons donc une solution juste et cohérente pour ces trois secteurs, en tenant compte de tous leurs acteurs et en donnant la priorité à ceux qui ne disposent que de statuts fragiles.
Un fonds de compensation différencié pour le secteur culturel
State of the Arts (SOTA) tient à remercier explicitement les organisations qui ont immédiatement promis de payer leurs employés autant et aussi correctement que possible malgré les grands défis qui les attendent. Cependant, les témoignages que nous recueillons montrent que, malheureusement, de nombreux autres travailleurs culturels échappent à ces accords et sont affectés de manière existentielle. C’est pourquoi nous préconisons un ensemble différencié de mesures de compensation pour les acteurs qui ne disposent que de statuts fragiles. Nous proposons:
- À très court terme, de déployer un groupe de travail possédant connaissance du secteur solide et exhaustive. Dans cette équipe, tous les acteurs (artistes, personnel administratif, technique, de soutien…) seront correctement représentés.
- D’inclure le secteur culturel dans les mesures globales d’urgence économique, de la même manière que, par exemple, le secteur de l’hôtellerie.
- De considérer des mesures de soutien équitables et solidaires en tenant compte de la complexité et des énormes différences dans les structures de revenus des travailleurs culturels (qu’ils soient salariés, indépendants, indépendants-complémentaires…). Pour les compensations, donner la priorité aux plus faibles qui ne disposent que de statuts fragiles et de revenus minimaux.
- Ces compensations devraient également tenir compte des investissements perdus et non remboursables.
- De donner la possibilité aux travailleurs du secteur de recourir au « chômage temporaire pour force majeure » même dans le cas de contrats de courte durée comme pour le travail intérimaire.
- De faire preuve de souplesse pour l’obtention ou le renouvellement du «statut d’artiste» (en ce qui concerne le nombre minimum de contrats et de missions requis).
- D’exonérer le payement des cotisations de sécurité sociale et du précompte professionnel des 1er et 2e trimestres 2020 pour les indépendants et les indépendants complémentaires.
Malgré les efforts budgétaires importants qui devront désormais être consentis, SOTA s’engage à débloquer, comme prévu, des fonds pour le deuxième cycle de subventions lors du prochain examen budgétaire en avril. Une crise ne doit pas en cacher une autre. Ces fonds constituent une arme importante contre la perte de financement de nombreux artistes et projets.
Les prochaines étapes? Pratiques équitables !
SOTA surveille de la situation de très près, en lien direct avec les organisations artistiques impliquées. Nous suivons les débats et les négociations des gouvernements, des parlementaires et des partenaires sociaux. Nous défendons nos mesures d’indemnisation et de soutien.
Mais notre objectif est, également, de renforcer les pratiques équitables dans le secteur des arts et de la culture. Cette crise prouve, une fois de plus, à quel point un cadre social solide pour les travailleurs de ce secteur est absent, et qu’il est donc vital de le revendiquer.
State of the Arts,
NICC,
Acteursgilde,
GALM
Vos idées et vos propositions sont bienvenues. info@state-of-the-arts.net